Autorités vs référentiels : 3 questions aux experts de l’Abes

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arabesques85Autorités, identifiants, entités : L’expansion des référentiels. Tel est le titre du dossier de la revue Arabesques n°85 consacré aux référentiels d’autorités.

Le volume et la diversité des métadonnées en circulation dans les systèmes d’information – de l’enseignement supérieur, de la recherche, de la culture-  exigent de repenser le rôle des référentiels d’autorité. Considérés comme données de confiance au service du développement de l’open data et du web sémantique, ils constituent un capital précieux, une garantie d’indépendance, tout en interrogeant en profondeur les pratiques catalographiques classiques.

Le comité de rédaction  a souhaité apporter un éclairage terminologique en posant 3 questions aux experts de l’Abes en ce domaine : François Mistral, responsable IdRef, Yann Nicolas, expert Métadonnées, Philippe Le Pape, mission Normalisation, Olivier Rousseaux, chef du service Métadonnées. Voici  leurs réponses in extenso.

1 – En tant que professionnel de la documentation, quelles distinctions faites-vous entre « référentiel » et « base d’autorités » ?

François Mistral : Afin d’éviter toute confusion par omission, ajoutons un troisième terme dans ce jeu des distinctions : celui de « nomenclature ». En catalogage, ce seront les données codées – comme par exemple les codes de pays, nomenclature internationale maintenue officiellement par l’ISO 3166 Maintenance Agency (ISO 3166/MA).

Par « référentiel », je retiens surtout l’idée de données de référence et de repère. Cela signifie qu’un référentiel est un jeu de données,  suffisamment vraies, justes, certaines pour être utilisées en confiance afin d’en produire ou d’en agréger d’autres. De fait, ces données de référence sont des points de repère à partir desquelles en situer d’autres avec économie.

Par  « données d’autorité », je retiens la double dimension de contrôle et de légitimité à assurer ce contrôle : ces données font autorité en ce qu’elles contrôlent des données bibliographiques, ce qui met en évidence la nécessaire qualité des données d’autorité, la pratique des sources constituant une de leur plus-value essentielle.

Cependant, outre les différences entre ces termes, je voudrais mettre en évidence l’horizon de leur convergence.  Que les bibliothécaires se persuadent qu’eux-mêmes et les données qu’ils produisent ont la légitimité de coloniser de nouveaux espaces de l’information au profit d’un intérêt tant professionnel que général.

Yann Nicolas :  Selon moi, quand on parle référentiel à l’Abes, on entend « des données qui permettent de décrire nos documents en minimisant le recours à du texte libre », de type listes fermées de « termes » (ex : code pays…) ou listes d’entités (ex :  entité de type Pays)

Décrire les entités de type « Document » étant notre cœur de métier, les entités qui gravitent autour sont considérées comme des entités secondaires « pour nous », comme des moyens et non des fins. Ce qui est tout relatif : un système de gestion des chercheurs français prendra nos documents pour entités secondaires, le Sudoc ou theses.fr devenant un référentiel « pour eux ». Bref, les référentiels des uns peuvent être les données centrales des autres. Ce qui ne veut pas dire que tout peut devenir référentiel.

La tendance actuelle est de transformer les référentiels « liste de termes ou de codes » en référentiels d’entités clairement identifiées : autrement dit, en langage Web sémantique, on passe de « littéraux » (chaînes de caractères simples, ou bien typées) à des « ressources », possédant une URI pour identifiant,  ces ressources pouvant elles-mêmes avoir des attributs, être décrites, succinctement ou longuement, ici ou ailleurs. Connecter nos données à ces référentiels, c’est indirectement enrichir nos données des attributs de ces entités secondaires, et, par transitivité, de proche en proche, à beaucoup d’autres informations.

Traditionnellement, une notice d’autorité remplit ces deux fonctions : identifier clairement une entité grâce à un identifiant précis ; mais également associer à cette entité un nom, un libellé, une étiquette linguistique, un « littéral », un nom propre à retenir comme son nom de référence. En effet, les autorités, de plus en plus ouvertes, vivent dans différents contextes (langues, cultures, types d’application, etc.) et le « bon » terme à afficher peut ne pas être toujours le même. De ce fait, la fonction « terme retenu » est de moins en moins centrale … même s’il faut bien de la chair attachée au squelette de l’entité : des attributs, et parmi eux, des libellés, multiples, qualifiés.

Bref, nos autorités traditionnelles se normalisent : rejoignent d’autres référentiels en tant que liste d’entités clairement identifiées, possédant des attributs et des relations (qualifiées) avec d’autres d’entités (de même type ou non, de même référentiel ou non). Cette normalisation est à la fois intellectuelle et technique. Le paradigme « web sémantique » constitue le vecteur principal de cette normalisation : tout devient Ressource, identifiée de manière univoque à l’échelle universelle grâce à sa (ou ses !) URIs, et ce sont les triplets RDF qui en parlent le mieux…

Philippe Le Pape : Les deux termes s’appliquent à des jeux de données « de référence », statut consacré soit par une labellisation (ex : norme ISO 3166 Codes des noms de pays ; norme ISO 80000-3 Système international de grandeurs, espace et temps ; standard RDA ; standard Unimarc) soit par l’usage (ex : données de theses.fr, de la Bibliographie nationale française). Il s’agit selon moi avant tout d’une distinction d’ordre technique, opérante dans le cadre d’un système de production et d’administration d’un ensemble de métadonnées complexes et organisées.

On nommera « référentiel », l’ensemble de données « outils » auquel on recourt pour garantir la qualité des métadonnées administrées, leur interopérabilité et leur conformité à un standard partagé. Dans cette catégorie entrent les modèles de données, les règles de catalogage, les formats, les nomenclatures (noms et codes de pays, de langue, unités de mesure, coordonnées géographiques..).

Dans un système bibliographique classique, fondé sur le modèle du fichier de notices descriptives dont certains  points d’accès sont contrôlés, les données d’autorité servent à normaliser, unifier et documenter certains de ces points d’accès.  Les données d’autorité ont donc vocation à faire référence pour des tiers, ce qui revient à dire que, dans le cadre d’un système de production de métadonnées, on utilise des référentiels pour produire des données d’autorité.

On remarque que les modèles conceptuels FRBR, FRAD et FRSAD – qui ont ouvert la voie à une conception nouvelle des systèmes bibliographiques, utilisent encore cette terminologie. En revanche, pour le modèle LRM, l’ancienne distinction entre données bibliographiques et  données d’autorité n’existe plus : le modèle ne reconnaît que des entités fonctionnelles en relation les unes avec les autres.

Olivier Rousseaux : « Référentiel : Ensemble auquel doivent appartenir les éléments, les solutions d’un problème posé » (dictionnaire Larousse).

Dans le contexte de l’Abes, les fichiers d’autorités, de même que les listes de données codées, servent à contrôler la cohérence des métadonnées bibliographiques. Ils participent à un ensemble plus vaste qui organise et contraint les métadonnées produites et qui comprend les modèles de données, les formats de saisie, les règles normatives de description, le tout s’inscrivant dans un cadre international – Principes internationaux de catalogage, modèle IFLA LRM (successeur des modèles conceptuels FRBR, FRAD et FRSAD) ou code de catalogage RDA. Des éléments de référence qui s’ajoutent comme autant de « briques », indispensables pour rendre des services tels que le partage de données entre applications, la fourniture à des tiers ou l’exposition.

J’appliquerais donc plutôt le terme de référentiel à cet ensemble qui fonctionne comme un tout avec des règles d’interdépendance et d’interopérabilité de ses constituants. Il permet tout à la fois la cohérence des métadonnées produites, la communication entres les applications documentaires de l’Abes mais également les services de fourniture et d’exposition associés à ces métadonnées.

2 – Ces dernières années, on assiste à la montée en puissance du rôle des référentiels. Comment cela impacte-t-il concrètement votre travail auprès des réseaux de l’Abes / les pratiques de catalogage des professionnels des réseaux ?

François Mistral : En tant que responsable IdRef depuis mon arrivée à l’Abes en 2014, mon activité consiste à encourager cette montée en puissance et à accompagner les professionnels des réseaux en ayant une démarche systémique reposant sur 3 piliers :

  • l’animation du réseau des catalogueurs et notamment des Correspondants autorité, interlocuteurs experts ;
  • l’amélioration de l’outillage professionnel visant à accroître la maîtrise de la production par les producteurs ;
  •  la dissémination multi-canaux et multi-formats des données d’autorité dans et « hors les murs ».

Il reste  encore beaucoup à faire pour informer sur le rôle des référentiels et convaincre des considérables bénéfices attendus et plus encore constatés de leur utilisation dans les Systèmes d’Information, documentaires, de recherche ou autres. Valoriser les données produites par nos réseaux depuis plus de vingt ans et de convaincre de leur capacité à rendre service, sont une source de motivation quotidienne. Nous avons pu étoffer l’offre de service d’IdRef – notamment en matière d’alignements –  afin de la rendre plus attractive. Cette offre est un levier pour démarcher des nouveaux partenaires et intégrer des nouveaux projets, dans lesquels l’un de nos apports spécifiquement «ABES» consiste à promouvoir l’idée centrale et précieuse de « mutualisation ».

Yann Nicolas : Je ne pense qu’à ça !  Ces dernières années, certains collègues et moi avons travaillé sur deux projets : Qualinca et le Hub de métadonnées.
Qualinca est un projet de recherche ANR qui vient de se terminer. L’idée était de produire des algorithmes qui auscultent et améliorent la qualité des liens entre notices bibliographiques et notices d’autorité. Entre Sudoc et IdRef, par exemple. Mais il faut penser plus générique, moins nombriliste : au-delà des données bibliographiques Sudoc et au-delà des autorités IdRef.

Côté hub de métadonnées, on récupère des données hétérogènes en provenance des éditeurs. Notre boulot est d’homogénéiser tout ça, mais aussi de l’enrichir, notamment grâce aux référentiels de toutes sortes : langues, auteurs, sujets, types de document… Il s’agit bien de remplacer (ou compléter) des mots par des identifiants : remplacer un nom d’auteur par un lien vers une URI (IdRef, ISNI, ORCID…) ou remplacer le code « J63 », non pas par le terme « Turnover » du thésaurus JEL (Journal of Economic Literature), mais par un lien vers l’URI de ce concept dans la version Web sémantique de ce thésaurus multilingue – voir : https://punktokomo.abes.fr/2016/05/16/mettre-nos-donnees-en-reseau-un-demonstrateur-4b-les-revues-doxford-up-et-la-classification-jel-economie/
Dans les deux cas, il s’agit de connecter l’information bibliographique à des référentiels, pour mieux la structurer et mieux la connecter, non seulement à l’échelle d’un catalogue, -même collectif ou national, mais à l’échelle du Web !

Philippe Le Pape : On assiste plutôt à une prise de conscience du rôle des référentiels. Dans des systèmes de production partagée de métadonnées tels que le Sudoc, le rôle de la normalisation – qui intègre l’emploi de référentiels – a toujours été crucial. Mais avec la mise en application de RDA, le recours à des vocabulaires contrôlés s’accroît encore – « type de contenu », « type de médiation », « type de support » en sont des exemples.

Olivier Rousseaux : L’Abes est confrontée à ces questions pour avoir posé comme principe, lors de la mise en place même du Sudoc, la réutilisation de référentiels existants : RAMEAU ou FMeSH pour les accès matière, fichiers d’autorités « personnes, collectivités, titres » de la BnF pour les accès auteur ou titre uniforme ; listes de codes ISO (langues, pays) ou Unimarc (codes fonctions pour les auteurs).

Les évolutions les plus importantes : l’accès – foisonnant dans le contexte du web de données – aux métadonnées d’autres référentiels bibliographiques, administratifs ou autres de type  VIAF , base SIRENE de l’INSEE ou Répertoire des structures de recherche au niveau national  (RNSR)  ainsi que les évolutions techniques qui permettent de se projeter dans leur exploitation (solutions d’alignement et/ou d’enrichissement des métadonnées).

A l’Abes, la réflexion porte donc sur les manières d’appréhender les métadonnées de référentiels tiers pour bénéficier de leurs apports potentiels. A minima, il s’agit d’une opportunité d’améliorer, dans nos bases de production, les méthodes de liage automatique  entre notices bibliographiques et autorités de manière à diminuer cette activité pour les catalogueurs. En ce qui concerne le travail de catalogage au quotidien, les perspectives sont également d’exploiter les référentiels afin de développer des outils d’aide à la décision (ex : projet de recherche Qualinca)

3 – Comment envisagez-vous/imaginez-vous le rôle des référentiels dans le paysage de l’IST / au-delà ?

François Mistral : Selon moi, les référentiels actuels laissent entrevoir certaines des évolutions à venir du métier de catalogueur. Les données produites par les bibliothécaires sont promises à un grand avenir, tout l’enjeu étant dans leur structuration. A ce titre, les référentiels vont continuer de croître en importance. En conséquence, le rôle et l’expertise des producteurs de données structurées et structurantes doivent être au centre de nos préoccupations prospectives.

Un point délicat réside dans le fait que « nous autres catalogueurs » devons prendre conscience que nous sommes, aux premières loges, à la fois spectateurs et acteurs de ce phénomène qui dépasse largement notre secteur professionnel. Avec ou malgré nous, les choses se jouent dans notre communauté.

A ce titre, on pourrait imaginer que les référentiels jouent, comme pour les données, un rôle structurant pour l’IST. Ils pourraient amener une reconfiguration plus rationnelle des missions de ses opérateurs, reconfiguration façonnée à leur image : toute entière de spécialisation et de coopération pour un service rendu de haut niveau.

Yann Nicolas  : Vu de l’Abes, en caressant du regard le paysage un peu cacophonique de l’IST en France, j’espère encore une politique publique des référentiels claire. Que chacun joue sa partition, c’est-à dire maintienne et mette à disposition les référentiels qui sont de son ressort. Qu’on évite les doublons où plusieurs font plus ou moins correctement la même chose. Mieux vaudrait qu’un seul le fasse, et de manière excellente ! Par exemple, que le Référentiel national des structures de recherche (RNSR) administré par le MENESR soit, de droit et de fait, reconnu comme LE service public national qui fournit identifiants et attributs de référence pour les laboratoires français. Ce qui n’empêche en rien des clients – comme STAR ou theses.fr – de gérer leurs propres attributs complémentaires, en sus des attributs RNSR, à des fins propres, bibliographiques ou pas. Si possible, gérons nos propres attributs de laboratoires, mais pas nos propres identifiants : accrochons nos attributs aux identifiants RNSR. Même chose pour les autorités de type Entreprise : le référentiel SIRENE de l’INSEE est désormais ouvert !
L’Abes doit être un bon client des référentiels des autres, en même temps qu’un bon fournisseur de référentiels pour les autres, dès lors que son positionnement, son organisation et son capital de données la rendent légitime. C’est le cas, sans conteste, du référentiel des thèses françaises ou celui des chercheurs français.

Philippe Le Pape : On va vers une importance grandissante des identifiants de confiance dans lesquels le « nom », la « forme d’autorité », les données elles-mêmes se trouvent de plus en plus ramassés : le passage des métadonnées bibliographiques de systèmes fermés au Web renforce la nécessité de les normaliser et de les étiqueter en fonction des standards du Web, selon des systèmes d’identification qui pour être efficaces doivent jouir d’une large reconnaissance.

Olivier Rousseaux : Je ne vois pas leur rôle évoluer radicalement dans l’immédiat car leur nature et leurs fonctions perdurent sans être remises en question. J’envisage plutôt une tendance à des rapprochements – entre alignements et fusion- de référentiels existants.
Cependant, pour chaque rapprochement envisagé, les mêmes questions devront être examinées, tout référentiel tiers visé fonctionnant dans un contexte défini et circonscrit qui lui est propre : à quels objectifs répond-il ? à quelles contraintes ? sur quel modèle de données est-il fondé ? quelles en sont les règles d’alimentation ? nos besoins sont-ils couverts par ce référentiel en termes de granularité des données, d’évolutivité et de traçabilité des évolutions apportées ? quels risques et quels avantages y aurait-il à fusionner avec ce référentiel tiers? quelle gouvernance en résultera (technique comme scientifique) et sera-t-elle adaptée à notre contexte ?

Un référentiel tiers est donc à aborder avec prudence afin de mesurer le degré de rapprochement optimal qu’on peut en espérer. De ce point de vue, le projet de « Fichier national des entités » amorcé en mars 2017 entre la BnF et l’Abes répond à ces questions en se positionnant résolument dans la recherche d’une solution de fusion des « traditionnels » fichiers d’autorités existants de part et d’autre au profit d’un fichier national unique géré en co-production.

 

 

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